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Faisceau moyen du ligament lateral externe et instabilite de la cheville

P.Trouilloud, G. Moreau (CHU Dijon) 1995

 

L’étude du faisceau moyen du ligament latéral externe de la cheville et de ses rapports avec les faisceaux astragalo-calcanéens (lig. talo calcaneum), souvent variables comme l’avaient déjà souligné H. Rouvière et L. Canela, nous a servi de point de départ pour une réflexion sur les formes anatomiques des instabilités de la cheville et leurs conséquences cliniques.

Nous appelons cheville le complexe articulaire : 

  • Articulation tibio-tarsienne
  • Articulation sous-astragalienne
  • Articulation médio-tarsienne. 

En effet, ces trois articulations forment une entité fonctionnelle certaine. Du point de vue cinématique, elles fonctionnent de manière complémentaire lors des trois déplacements élémentaires : flexion-extension, abduction-adduction, rotation. Du point de vue anatomique le ligament latéral interne et le ligament latéral externe de la cheville présentent des faisceaux qui pontent une, deux ou trois de ces articulations.

Le faisceau moyen ou calcaneo-fibulaire du ligament latéral externe de la cheville (lig. collatéral latéral) contrôle deux articulations : 

  • L’articulation tibio-astragalienne (talo-crurale, articulatio talocruralis)
  • L’articulation sous-astragalienne (sous-talienne, articulatio subtalaris). 

Par contre les deux autres faisceaux, antérieur et postérieur, du ligament latéral externe n’ont qu’une action tibio-astragalienne.

Les variations de l’orientation du faisceau moyen du ligament latéral externe déjà étudiées par C.J. Ruth sur 75 sujets, ne constituent pas l’objet de ce travail. Nous nous sommes occupés des variations des renforcements astragalo-calcanéens du faisceau moyen du ligament latéral externe qui influent sur sa valeur fonctionnelle et la compréhension de ses lésions lors des instabilités de « cheville ».


1 – MATERIEL, METHODE

Trois moyens d’étude ont été utilisés : la dissection, l’observation de la cinématique et la radiographie.

Les dissections

Elles ont été réalisées sur 20 sujets, 10 formolés et 10 frais ou congelés. Les éléments capsulaires qui ne paraissaient pas intervenir dans la cinématique de la cheville ont été excisés. Nous avons conservé des différents faisceaux du ligament latéral interne (ligament collatéral médial, lig. collaterale mediale), les faisceaux du ligament latéral externe, le ligament en haie (ligament talo-calcanéen interosseux, lig. talo calcaneum interosseum), le ligament de Chopart ou ligament bifurqué (lig. bifurcatum) et les ligaments astragalo-calcanéens (lig. talo calcaneum).

La cinématique de la cheville

Elle a été étudiée en observant le rôle des différents groupes ligamentaires lors des mouvements de flexion dorsale et de flexion plantaire, et dans les déplacements en valgus-varus ou abduction-adduction. Dans un premier temps, les ligaments étaient laissés intacts puis les faisceaux du ligament latérale externe étaient sectionnés tour à tour.

Les radiographies

Elles ont été prises dans les mouvements forcés avant, puis après section des différents faisceaux du ligament latéral externe, pour mettre en évidence les répercussions qui surviennent au niveau de l’articulation tibio-tarsienne et de l’articulation sous-astragalienne.


2 – RESULTATS

Anatomie descriptive

La disposition du faisceau moyen du ligament latéral externe et des ligaments astragalo-calcanéens antérieur et latéral est variable, nous les avons regroupé en trois types :

  • Type A : un ligament astragalo-calcanéen latéral double le faisceau moyen du ligament latéral externe et diverge sur la portion proximale, moyenne ou distale de ce ligament. Cette disposition est trouvée dans 9 cas.
  • Type B : il existe un ligament astragalo-calcanéen latéral indépendant, en avant du faisceau moyen du ligament latéral externe. Ces deux ligaments sont parallèles, cette disposition est trouvée 6 fois.
  • Type C : on trouve un ligament astragalo-calcanéen antérieur, parallèle au ligament interosseux du tarse. Cette disposition est trouvée 11 fois.

Dans trois cas, les types A et C sont associés, et dans trois cas les types B et C sont associés.

Ainsi chaque type de cheville présente des particularités vis-à-vis de l’entorse :

  • Pour les chevilles de type A : selon le siège de la rupture du faisceau moyen du ligament latéral externe, il y aura des conséquences sur l’une des articulations tibio-tarsienne et sous-astragalienne ou sur les deux. 
  • Pour les chevilles de type B : une lésion du faisceau moyen du ligament latéral externe n’a pas de répercussion sur l’articulation sous-astragalienne, dans la mesure où celle-ci reste contrôlée par un ligament astragalo-calcanéen latéral ; et parfois par un ligament astragalo-calcanéen latéral et in ligament astragalo-calcanéen antérieur.
  • Pour les chevilles de type C : une lésion du faisceau moyen du ligament latéral externe a des répercussions sur les articulations tibio-tarsienne et sous-astragalienne.

Anatomie fonctionnelle

Lors de la flexion plantaire le faisceau moyen du ligament latéral externe et le ligament astragalo-calcanéen interosseux s’horizontalisent. Ils restent tendus pendant toute la durée du déplacement. Le ligament péronéo-astragalien antérieur (lig. talo fibulare anterius) se tend et le ligament péronéo-astragalien postérieur (lig. talo fibulare posterius) se détend.

Lors de la flexion dorsale de la cheville, le faisceau moyen du ligament latérale externe et le ligament astragalo-calcanéen interosseux se verticalisent et restent tendus. Le ligament péronéo-astragalien antérieur se détend et le ligament péronéo-astragalien postérieur se tend.

Lorsque le pied est en adduction rotation interne, le calcaneum tourne en dedans (en supination) et en avant par rapport à l’astragale (talus), il n’y a pas de sub-luxation astragalo-scaphoïdienne (talo-naviculaire) ou sous-astragalienne (sous-talienne). Une sub-luxation survient en cas de section du ligament astragalo-calcanéen latéral au niveau de ces deux articulations. De ce fait lors d’une disposition de type A ou C, une sub-luxation astragalo-scaphoïdienne témoigne d’une luxation de l’articulation sous-astragalienne, puisque ces deux sub-luxations surviennent toujours en même temps.

Anatomie radiographique

La radiologie confirme les données anatomiques précédentes.

- Données qualitatives

Au cours des mouvements de la cheville, en particulier en adduction forcée, il existe une interdépendance entre l’articulation sous-astragalienne et l’articulation astragalo-scaphoïdienne comme l’avait noté Farabeuf. Cette interdépendance persiste après section des ligaments latéraux, toute sub-luxation sous-astragalienne est associée à une sub-luxation astragalo-scaphoïdienne ou calcanéo-cuboïdienne.

Du point de vue radiologique, une sub-luxation ou une luxation sous-astragalienne est difficile à mettre en évidence du fait de la situation et de la forme de cette articulation. Par contre il est facile d’observer une sub-luxation astragalo-scaphoïdienne ou calcanéo-cuboïdienne sur une incidence dorso-plantaire du pied en adduction forcée.

Après section des différents faisceaux du ligament latéral externe, les clichés en varus forcé (adduction forcée) ne montrent un bâillement tibio-astragalien significatif (supérieur à 10°), seulement si trois faisceaux sont atteints, ou si les deux faisceaux antérieur et moyen sont lésés, à condition que les clichés soient réalisés en flexion plantaire de cheville, ce qui reste difficile à établir et insuffisant sur le plan lésionnel.

De ce fait nous sommes amenés à proposer, pour le diagnostic d’entorse externe de cheville, un cliché en varus forcé, la cheville maintenue en flexion plantaire. On observe alors sur le même cliché l’interligne tibio-astragalien et l’interligne astragalo-scaphoïdien. Ainsi en cas d’entorse, cette incidence permet de déceler une laxité tibio-astragalienne ou une laxité sous-astragalienne ou une association des deux. 

- Données quantitatives

Nous avons voulu obtenir des mesures chiffrées.

Lorsqu’on sectionne le faisceau moyen du ligament latéral externe ou le ligament astragalo-calcanéen externe, on observe en varus forcé rotation interne une sub-luxation astragalo-scaphoïdienne avec en moyenne un décalage entre le bord interne de l’astragale et le bord interne du scaphoïde de 6 mm de plus que sur la cheville controlatérale dont les ligaments sont intacts. Les valeurs extrêmes sont de 4 mm et 9 mm sur les vingt sujets observés.

Ce type d’exploration est réalisé pour le moment à titre prospectif lors des entorses de cheville. Nous pensons à plus long terme pouvoir ainsi préciser les indications thérapeutiques en fonction des trois formes anatomo-cliniques décrites.


3 – DISCUSSION

Les variations observées expliquent les divergences entre la description des ligaments astragalo-calcanéens par différents auteurs : Lapidus en 1963 décrit un ligament interosseux astragalo-calcanéen qui comble le sinus du tarse, Smith décrit trois ligaments : cervical, inférieur et du canal tarsien et leur attribue un rôle limitateur des déplacements de l’articulation sous-astragalienne. Cahill et Kapandji décrivent plusieurs faisceaux ligamentaires et leur attribuent un rôle de guide des déplacements de l’articulation sous-astragalienne.

Nos observations sont en faveur d’un déplacement complexe de la sous-astragalienne mettant en jeu le ligament interosseux mais aussi le faisceau moyen du ligament latéral externe et le ligament latéral interne. Les variations anatomiques observées expliquent les variations fonctionnelles notées par Langelaan dans son étude cinématique des articulations du tarse.

La conception des mouvements de l’articulation sous-astragalienne autour d’un axe de compromis de Henke reprise par Fick, puis par Inman et Kapandji a l’inconvénient de n’insister que sur l’importance du ligament interosseux du tarse. Ce ligament est conçu comme les ligaments croisés du genou, véritable pivot central de la sous-astragalienne. Anatomiquement sa morphologie et sa situation rendent cette hypothèse séduisante, mais fonctionnellement il ne peut assurer son rôle qu’avec les ligaments latéral externe et astragalo-calcanéen.

Il semble que le faisceau moyen du ligament latéral externe et le ligament astragalo-calcanéen externe lorsqu’il existe soient déterminants pour la cinématique de la sous-astragalienne. Ces ligaments forment un couple avec le ligament interosseux du tarse dont les différents faisceaux ont des rôles spécifiques lors des déplacements en flexion extension et en rotation.

Le faisceau antérieur du ligament latéral externe est très fragile, ce qui explique la fréquence de ses lésions (ligament de l’entorse de Poirier), son atteinte ne retentit que sur l’articulation tibio-tarsienne. Le problème est donc de mettre en évidence une atteinte associée du faisceau moyen du ligament latéral externe dont les lésions peuvent retentir à la fois sur la tibio-tarsienne et sur la sous-astragalienne.

La section expérimentale des faisceaux antérieur et moyen du ligament latéral externe augmente l’amplitude d’adduction de la cheville entre 13 et 30° (Anderson, Pascoet, Duquenoy). Des auteurs comme Léonard, Laurin, Quellet et Vidal ne trouvent pas d’augmentation, ce qui s’explique peut-être par les nombreuses variations anatomiques que nous avons observées. L’amplitude de la rotation interne augmente de manière variable selon les conditions expérimentales : O. Rasmussen par exemple n’étudie la rotation interne qu’entre le tibia et l’astragale, sans inclure dans ses observations l’articulation sous-astragalienne.

L’articulation astragalo-scaphoïdienne forme un complexe avec l’articulation astragalo-calcanéenne, ces deux articulations constituent un système de cardan qui transforme un déplacement dans un plan proche du plan frontal en un déplacement dans un plan transversal. Il n’y a donc pas d’axe de rotation fixe au niveau de l’articulation astragalo-scaphoïdienne. Ceci est conforme aux descriptions rapportées par Farabeuf, Fick, Shephard ou Töndery. Ces constatations sont en contradiction avec des auteurs comme Dönitz, Mann et Morris qui décrivent un simple axe de rotation astragalo-scaphoïdien. Les observations radiologiques que nous avons pratiquées confirme leur interdépendance étroite, en particulier la section du ligament astragalo-calcanéen externe provoque systématiquement une sub-luxation astragalo-scaphoïdienne en varus rotation interne forcée.

Du point de vue chirurgical il est donc logique de chercher les lésions du faisceau moyen du ligament latéral externe et des ligaments astragalo-calcanéens en appréciant la laxité de la tibio-tarsienne et de l’astragalo-scaphoïdienne. La réparation, en restaurant la cinématique de la tibio-tarsienne et de la sous-astragalienne, assure automatiquement la mise en jeu normale de l’astragalo-scaphoïdienne, et ceci dans des conditions mécaniques favorables puisqu’on agit loin de ses axes instantanés de déplacement.


4 – CONCLUSION

Nous avons montré l’importance des variations des formations ligamentaires externes de la cheville pour le fonctionnement des articulations tibio-tarsienne, sous-astragalienne et astragalo-scaphoïdienne. Si du point de vue de l’Anatomie Descriptive il est commode de séparer ces articulations, du point de vue fonctionnel elles forment une entité qui correspond à la notion d’articulation du cou de pied au sens large de Blandin et Malgaigne.

L’étude des variations de ces formations ligamentaires et des perturbations cinématiques après leur section nous a permis de proposer une incidence radiologique destinée à différencier les laxités tibio-tarsienne, sous-astragalienne ou mixte après une entorse externe de cheville.

Les résultats radiologiques obtenus montrent l’importance de l’examen de la médio-tarsienne en équin, rotation interne à la recherche d’une sub-luxation calcanéo-cuboïdienne ou d’une sub-luxation astragalo-scaphoïdienne. Ainsi lors de l’examen clinique, l’examen de ces deux articulations est primordial comme signe d’une instabilité sous-astragalienne qui s’exprime forcément au niveau de l’une des deux articulations médio-tarsiennes.

 

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